« Ça m’est arrivé de lire jusqu’à 20 livres en même temps, j’achète les livres quand ils me plaisent. J’ai aussi perdu beaucoup de livres, partout, parfois je les retrouve chez des amis » -Labib G., collectionneur égyptien de livres francophones
C’est en 1952, à Ismaïlia (à mi-chemin entre le canal de Suez et le Caire – 120 kms), dans l’Égypte d’après seconde guerre mondiale, qu’est né Labib.
Gamal Abdel Nasser venait tout juste d’instaurer la république après avoir renversé la monarchie.
« Petit j’étais amoureux des livres »
« Moi je suis rentré dans la littérature et l’écriture par les bandes dessinées. Je gagnais 1 piastre/mois d’argent de poche, et pour ce prix je pouvais seulement « louer » un magazine et consulter les pages en partie scellées ». Depuis l’enfance, Labib rêvait d’avoir sa propre bibliothèque mais les moyens familiaux et sociaux de la famille ne le permettaient pas.
Si c’est à Port-Saïd qu’il « chasse » ses premiers mots en français dans sa petite jeunesse, sa vie bascule lors de son premier voyage en France en 1972. Il en garde des souvenirs mémorables, mais surtout il va « tomber amoureux » de la langue française.
C’est en parlant quotidiennement lors de séjours répétés en France, qu’il finit par maitriser le français. Gros avantage, sa connaissance de la langue et ses études universitaires d’ingénieur lui permettront d’intégrer les rangs des sociétés françaises installées en Égypte.
Dans les années 80, sa rencontre avec un cuisinier égyptien est décisive ; ce dernier lui propose de vendre une collection du XIXième siècle de livres de cuisine écrits en français dont il a hérité. « J’ai senti que ce sont des livres très importants ». Il les vend en effet très rapidement et décide alors de se lancer dans l’achat/revente de livres anciens, majoritairement francophones. « Les beaux livres tu les sens, dès que tu les prends tu les reconnais »
« Quand ils ont su que je travaillais avec des livres, mes parents m’ont dit que ce n’était pas une profession. Mon père, surtout, il me disait que j’étais fou. Mais ils ont changé d’avis quand ils se sont rendus compte que je gagnais bien ma vie, mieux qu’eux. Je suis un des premiers de ma famille à avoir voyagé dans le monde. Le voyage m’a donné une certaine culture ».
Entre 60 et 70 000 livres
Ce n’est qu’une estimation, mais son appartement est une vaste bibliothèque.
Déjà, il y a trente ans, il a déménagé environ 20 tonnes de livres quand il a quitté la maison familiale pour s’installer dans le quartier tranquille de Maadi, au Caire. Il n’y avait encore que des champs autour. Le quartier a bien changé depuis. Mais dans sa caverne un peu secrète, Labib est toujours là. Surtout depuis la pandémie. Loin des contraintes, « il voyage dans son appartement ».
Si la plupart des livres sont anciens, les sources se tarissent peu à peu.
Outre le marché aux livres anciens d’Ataba (au Caire), Labib achetait aussi ses livres aux héritiers des anciennes familles bourgeoises francophones.
Depuis la nationalisation du Canal de Suez et l’arabisation du pays, l’Égypte a perdu progressivement l’usage de la langue française. Outre l’arabe, les nouvelles générations parlent mieux l’anglais aujourd’hui. De fait, il compte peu d’égyptiens parmi ses clients et estime que la culture française disparaît doucement…
Féru d’histoire et de philosophie, le vieil homme francophile est un égyptien fier d’avoir mené sa barque comme il l’entendait, et d’avoir vécu de sa passion.
Le collectionneur s’est aussi diversifié et propose à la vente des cartes maritimes originales de plusieurs centaines d’années en langue française, des planches de gravures scientifiques françaises de l’expédition napoléonienne de 1798, des cartes postales anciennes.

Depuis quelques années, des livres plus contemporains ont pris la relève et continuent de remplir les étagères de sa bibliothèque. L’appartement de Labib est devenu un lieu de rencontres littéraires, une visite incontournable au programme des associations d’expatriés.
Mais avec la covid-19, les rassemblements et les activités culturelles ont été réduits. Il reçoit moins de visites, au point qu’il estime, en rigolant, « perdre peu à peu sa langue française ».
Quand on lui demande s’il a déjà pensé à prendre sa retraite, il répond, d’un air malicieux, qu’il ne considère pas ce qu’il fait comme un travail, et qu’il continuera tant qu’il peut le faire !
Avec sa pipe, qui l’aide à se concentrer, Labib s’installe à sa table pour vider des cartons.  
« C’est la petite organisation d’un vieil homme » dit-il pour s’excuser, dans un nuage de fumée blanche odorante. Souriant, derrière ses livres …. A ses côtés se trouve une petite pile d’évangiles imprimées avant la révolution française. Certains de ces livres n’ont pas de prix ; il les garde pour lui, il n’est pas pressé de les vendre. « Le livre demande du temps ».

You may also like

Back to Top